PAROLES D'ENSEIGNANTS 

Laissez-nous professer !

On a pu entendre dernièrement que les élèves de deuxième année primaire étaient de mauvais lecteurs. Comment s'en étonner ? Instituteur depuis dix ans, je constate que le niveau baisse d'année en année et que les différentes "rénovations" de l'enseignement sont en fait un puissant moyen de crétinisation des futurs électeurs...

Nous venons de recevoir les examens cantonaux des 2e, 4e et 6e années concoctés par les inspecteurs : c'est un véritable désastre ! Le français est mis de côté, quasi-absence de conjugaison, pas de grammaire, mais des maths à la pelle ! Certes, les épreuves de lecture et d'expression écrite sont présentes, mais de quelle manière ! Un texte de 14 pages pour des enfants de sept ans ! Toutes les expressions écrites dans un même examen ! Non-sens !

Je pose une dernière question : les générations d'avant regrettent-elles d'avoir bénéficié d'un enseignement plus frontal ? Est-ce en interdisant presque les dictées sous prétexte que ce n'est pas pédagogique, puisque l'élève ne se trouve pas face à un défi, que leur orthographe s'améliorera ? On peut avoir tous les diplômes du monde, si on n'est pas capable d'aligner deux phrases sans faire de fautes, personne ne vous engagera... Il serait temps de laisser les enseignants faire leur métier.

T.M., @

Télé Moustique 4245 du 06.06.2007 - Courrier des lecteurs page 13.

Veut-on des enseignants idiots ?

Auparavant prestigieux, le métier de prof  l'est de moins en moins. Beaucoup de jeunes, aux lacunes criantes, s'inscrivent dans un département pédagogique en désespoir de cause.

Quelques années seulement après la saignée imposée par l'Exécutif de la Communauté française, nos peu prévoyants ministres se sont aperçus que la pénurie d'enseignants menaçait. Ils ont donc fait miroiter aux jeunes l'assurance d'un emploi dans ce secteur sinistré. Opération-séduction efficace puisque les écoles normales ont aussitôt enregistré un afflux d'inscriptions. Malheureusement, un grand nombre de ces étudiants n'atteignent pas le niveau souhaité.

À quoi servent les écoles normales ? Essentiellement à assurer à leurs étudiants une formation scientifique, didactique et pédagogique qui les prépare à la vie professionnelle. Une tâche suffisamment absorbante pour qu'elle ne s'étende pas aux savoirs de base qu'il incombe aux écoles primaires et secondaires de construire. Et pourtant...

D'année en année, les professeurs de toutes les disciplines constatent des lacunes toujours plus profondes. On se moque parfois d'une certaine culture générale dont le vernis camouflerait des gisements d'ignorance. Disposer de repères littéraires, historiques, géographiques contribue cependant à structurer, même superficiellement, les connaissances déjà acquises et à mieux se situer dans le monde contemporain. Ces repères, beaucoup de nos étudiants ne les possèdent pas. Demandez-leur par exemple en quel siècle a vécu Louis XIV, qui est l'auteur de Candide, quel fleuve passe à Gand, qui est actuellement le secrétaire général de l'Onu, et vous serez consternés par la plupart de leurs réponses. D'accord : cela ne tire pas à conséquence dans la vie de tous les jours. Mais ici je parle des futurs enseignants, de ceux qui, une fois diplômés, devront installer et développer des connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles (tel est en effet le langage de la pédagogie contemporaine) qu'ils ne maîtrisent pas eux-mêmes.

Connaissances générales souvent réduites donc, mais aussi et surtout faiblesses en langue maternelle. Celles-ci sont d'autant plus redoutables qu'elles entraînent inévitablement dans les autres disciplines ce qu'on appelle pudiquement des "dommages collatéraux". Bien des erreurs procèdent en effet de la compréhension imparfaite, voire carrément erronée, des écrits de toutes sortes : énoncés mathématiques, textes historiques, documents scientifiques. Alors, s'il s'agit d'œuvres littéraires...

Les faiblesses en orthographe sont connues de tous. Au cours de MLFOE (maîtrise de la langue française orale et écrite), le résultat d'exercices destinés en principe à des élèves des deux premiers cycles du secondaire s'avère consternant. Des étudiants se montrent incapables de mémoriser durablement certaines règles d'accords élémentaires et de les appliquer à bon escient, retombant du coup à chaque fois dans les mêmes erreurs. Et que dire de la méconnaissance de la conjugaison aux temps les plus usités ? Faut-il rire ou pleurer lorsqu'on découvre dans un travail des formes comme "il metta", "il vena", "nous envoyerons", "je vêtissais" ?

Plus préoccupante et plus dommageable encore apparaît la pauvreté du vocabulaire et de la syntaxe. Soumis à un test de vocabulaire, plusieurs normaliens ont obtenu des résultats sensiblement inférieurs à ceux de collégiens français âgés de quinze ans. Et dès qu'ils prennent la plume, serait-ce pour écrire un mot d'excuse lors d'une absence, l'emploi de termes impropres et, plus largement, la médiocrité générale de l'expression laissent pantois.

De là, bien entendu, des difficultés parfois insurmontables dans les activités de lecture et d'écriture. Un très grand nombre de normaliens reconnaissent spontanément qu'ils ne lisent pas, sinon des magazines sportifs ou "people", lesquels utilisent un vocabulaire et des structures syntaxiques généralement simples. Or, les futurs instituteurs et les régents littéraires devront donner aux jeunes le goût de lire et d'écrire, leur commenter les textes, leur suggérer des améliorations lors des exercices d'écriture !

Comment expliquer cette situation affligeante des écoles normales ? Par la formation dispensée dans le fondamental ? Peut-être, mais je n'ai pas de leçons à donner à des collègues confrontés à des conditions de travail souvent très incommodes. Bien plutôt par la médiocrité du recrutement, car, au sortir de l'athénée ou du collège, les étudiants de valeur choisissent des filières qui donnent accès à des professions mieux payées, mieux considérées.

Je lisais il y a quelques mois le beau livre de Mona et Jacques Ozouf  "La République des instituteurs", dans lequel s'expriment des maîtres d'école français de la première moitié du XXe siècle, presque tous issus de milieux très modestes, et j'étais ébloui par la clarté de leurs propos, par la pertinence de leurs avis, par l'aisance de leur style. Il est vrai qu'à l'époque l'entrée à l'École normale représentait une promotion pour les fils et les filles d'agriculteurs, d'ouvriers, d'employés, acharnés, malgré un traitement misérable, à l'accomplissement d'une vocation ou la réalisation d'un légitime désir de promotion sociale.

À présent, beaucoup de jeunes s'inscrivent dans un département pédagogique en désespoir de cause, après avoir échoué ici et là : les études normales ont, à tort ou à raison, la réputation d'être faciles et de délivrer des diplômes "à l'usure", entendez par là que le doubleur ou le trisseur finit presque toujours par réussir. Étonnez-vous, dans ces conditions, que la première année d'études soit largement consacrée à une tentative de mise à niveau, et cela, les horaires n'étant pas extensibles, au détriment de la formation spécifique... Si, au moins, un test d'aptitude était officiellement organisé afin d'éclairer les étudiants sur leurs qualités et leurs faiblesses, on pourrait, le cas échéant, déconseiller aux plus faibles d'entre eux des études qui ne correspondent pas à leurs capacités. Un examen d'entrée ? Vous n'y pensez pas ! Pourtant, personne ne conteste celui qui donne accès aux études d'ingénieur...

Il est urgent que les autorités publiques prennent conscience de la gravité du problème et cessent enfin d'imiter l'autruche. Qui accepterait de subir une opération chirurgicale ou de voyager dans un avion sous la responsabilité d' un Gestion La gaffe ? Pourquoi ces exigences de compétence seraient-elles superflues dans le domaine pédagogique ? À cet égard, obliger les enseignants à un recyclage régulier est assurément un pas dans la bonne direction. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi rendre plus attrayante à tous égards une profession dont le crédit s'est effrité, en la revalorisant financièrement et socialement de façon à attirer des jeunes de qualité. Tant que cette nécessité restera un vœu pieux, c'est-à-dire longtemps encore, hélas !, qu'on ne pleure pas des larmes de crocodile lorsque tomberont les résultats de tests tels que Pisa 2000 !

Je ne crois pas avoir noirci le tableau. Les copies qui l'attestent dorment paisiblement dans les armoires poussiéreuses des écoles. Il y a vingt ans, Maurice Maschino, professeur de philosophie dans un lycée parisien, publiait des réflexions désabusées sous un titre provocateur : "Voulez-vous vraiment des enfants idiots ?" Aujourd'hui, la question vaut aussi pour les futurs enseignants...

Martial WATRIN, professeur au département pédagogique de la Haute École de la ville de Liège

DÉBATS   Opinion - ENSEIGNEMENT

LA LIBRE BELGIQUE du 06 février 2004

D'une réelle maîtrise de la langue française

L'apprentissage de l'orthographe n'a rien perdu de son importance, parce qu'elle apporte le sens.
Un problème qui concerne toute la société.

À l'issue de la célèbre dictée du Balfroid, mes élèves ont remporté le prix de la classe, appelé aussi prix de la solidarité car il ne récompense pas un participant pour sa performance personnelle mais la classe dans son ensemble pour le meilleur résultat positif. Aussi, je profite de cet éphémère instant de gloire pour associer à cette victoire mes collègues de l'école communale de Joli-Bois à Woluwe-Saint-Pierre qui ont tous à cœur de travailler avec des groupes hétérogènes au sein desquels ceux qui éprouvent le plus de difficultés sont "tirés vers le haut" grâce à la présence de "bons" élèves qui les motivent à se surpasser. Samedi, au Heysel, j'ai tenu à rappeler avec force que l'orthographe avait encore un sens car, précisément, elle apporte du sens et permet de comprendre finement un message écrit.

Si j'en crois les nombreuses réactions positives qu'a suscitées mon propos, je suis loin d'être le seul à le penser. Pourtant, aujourd'hui, il est indéniable que l'apprentissage rigoureux du bien écrire est pour le moins passé à l'arrière-plan quand il n'a pas tout simplement été jeté aux oubliettes.

Les divers programmes et socles de compétences mettent aujourd'hui principalement l'accent sur la lecture. Je ne puis que me réjouir du choix de cette priorité car, trop longtemps, l'étude du français s'est limitée à un apprentissage exclusivement formel de la grammaire et de l'orthographe, rendant sa réelle maîtrise réservée à quelques-uns en faisant passer notre belle langue pour un ramassis d'exceptions toutes plus incompréhensibles les unes que les autres.

Le problème est que les personnes capables de se servir correctement de la langue française pour agir, parler de façon nuancée, composer avec structure, rêver devant la beauté d'un mot jamais rencontré auparavant ou même se défendre avec force arguments sont... encore bien plus rares qu'hier ! Mais alors, qu'a-t-il bien pu se passer ? Certaines écoles élitistes font comme avant et obtiennent d'excellents résultats. Facile, diront certains, puisqu'elles ne gardent que les bons élèves qui apprennent sans peine, peu importe la méthode utilisée...

D'autres ont, à mon avis, mal interprété les recommandations ministérielles en croyant qu'il ne fallait plus travailler que la lecture et l'expression personnelle des enfants, au détriment de l'orthographe et de ses sœurs trop contraignantes que sont l'analyse, la conjugaison et la grammaire. Or, ce qui nous est demandé, avec raison je crois, c'est d'utiliser tous les apprentissages formels au service de la réelle compréhension d'un message écrit ou oral.

Cela dit, le monde de l'éducation me semble avoir aussi une certaine responsabilité car, lors des épreuves proposées en fin de sixième primaire par exemple, il n'y a plus jamais le moindre texte dicté alors que ce type d'exercice reste selon moi un excellent moyen d'évaluer les compétences de chacun en orthographe. De l'aveu de certains, cela ne figure plus car les résultats seraient à ce point catastrophiques qu'il faudrait ne pas tenir compte de l'évaluation pour ne pas qu'il y ait trop d'échecs. C'est dire l'ampleur du problème...

Par contre, d'autres exercices très intéressants sont proposés lors de ce type d'épreuves, comme des transformations de phrases qui permettent notamment de vérifier que les enfants ont bien compris les particularités orthographiques du féminin et du pluriel par exemple. Mais alors, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi les questions relatives aux natures et fonctions des mots sont le plus souvent quasi inexistantes alors que dominer cette matière permet assurément d'écrire correctement - suivant la nature du mot "porte", il prendra "s" ou "ent" au pluriel -, de mieux comprendre comment la langue est construite, ce qui facilitera l'apprentissage des langues étrangères par analogie de structures et enfin de saisir le sens profond d'un message, en distinguant clairement cause et conséquence par exemple.

Il est essentiel d'analyser les relations qu'il y a entre les différentes composantes d'un texte, de savoir si un mot, dans une phrase donnée, apporte une information à un nom, un adjectif, un verbe ou un adverbe car c'est la signification même de la phrase qui est en jeu ! Beaucoup de rigueur me semble indispensable lors de toutes les leçons de français. Les accents et la ponctuation, par exemple, sont loin d'être des détails, pour lesquels on essaye souvent de les faire passer malheureusement. Les premiers donnent vie à un texte en le tonifiant par endroits tandis que la seconde nous permet tantôt de respirer - et donc de réfléchir, avant de poursuivre, au sens de ce qu'on on a lu ou écouté ! - tantôt de douter ou de nous émerveiller... Est-ce sans importance ?

Alors bien sûr, il y a bien d'autres raisons pour lesquelles nos jeunes sont si faibles en français. Je ne reviendrai pas ici sur la télévision, le manque de moyens, la démission de certains parents, le manque de volonté politique ou le laxisme omniprésent. Que chacun s'interroge sur ses responsabilités. Ce qui est indéniable, c'est que l'école d'aujourd'hui ne propose plus que rarement la rigueur et la structure nécessaires à la maîtrise sérieuse d'une langue aussi difficile que le français.

La société dans son ensemble trouve que les enseignants devraient être plus exigeants mais les nouveaux droits octroyés aux élèves et aux parents - qui permettent notamment de contester tout et souvent n'importe quoi, le plus souvent sans succès heureusement, au sein de l'institution scolaire - découragent beaucoup de professeurs qui ont bien compris qu'ils se préservaient de tout conflit éventuel en étant laxistes. Paradoxalement, quand un enseignant laisse tout faire dans sa classe, ne s'occupe pas ou peu des enfants en difficulté, n'enseigne pas certaines matières parce qu'il ne les aime pas, qui se plaint ? Par contre, les ennuis et les réunions à répétition commencent dès qu'on met le doigt sur ce qui ne va pas ou que les exigences sont un peu plus importantes !

Je pense qu'il est plus que temps de foutre la paix aux enseignants - c'est la seule expression qui me vient et ce n'est pourtant pas faute d'en avoir cherché d'autres - pour qu'ils puissent à nouveau utiliser leur énergie à travailler avec sérieux et précision, dans tous les domaines et particulièrement avec l'objectif premier d'asseoir une réelle maîtrise de la langue plus que jamais hautement indispensable.

Je viens de me réveiller. Je pense à mes nombreux collègues qui travaillent tous les jours dans les milieux défavorisés des grandes agglomérations. Eux aussi ont la charge de former les hommes et les femmes de demain d'une société multiculturelle qui cherche son identité. Comment et avec quelles stratégies enseignent-ils notre langue ? Quelle créativité déploient-ils parfois pour amener les enfants qui leur sont confiés à balbutier un langage que je rêve moi de fignoler !

Mon expérience parallèle dans des milieux plus difficiles m'a ouvert les yeux sur le courage de ceux et celles qui s'activent là pour tenter d'apporter à tous les structures langagières nécessaires à la formation de citoyens dignes d'une démocratie.

Benoît CORNEROTTE, instituteur à l'école communale de Joli-Bois à Woluwe-Saint-Pierre ; maître de formation pratique au département pédagogique de la Haute École de Bruxelles

DÉBATS   Opinion - ENSEIGNEMENT

LA LIBRE BELGIQUE des 19 et 20 mai 2004

Vous me la baillez belle... Ou l'enseignement en question

Voici, pour moi, un éducateur au discours inadéquat.
O
ù va-t-on si les pédagogues baissent les bras ?
Un effort dans l'exigence, selon lui, ne conviendrait pas.
S
i vous sanctionnez, pour lui, vous faites un faux pas.

Manions-nous réellement des outils efficaces ?
En définitive, chacun sait-il s'asseoir à la bonne place ?

La permissivité est, pour moi, option infantile.
A contrario, l'exigence sera œuvre bien plus subtile.

Bannis les redoublements qui "traumatisent" !
A
dmis les échecs qui, selon certains, tétanisent !
I
l faut que les enseignants insistent sur le sens de l'effort.
Leur vraie tâche, sûrement, sera contraire à un facile confort.
Laissons là d'illusoires projets sans envergure !
En effet, étudier n'est pas une sinécure.
Zoroastre* pourrait être un sujet d'écriture.

Baisser les bras ne sera pas la solution.
Exiger le travail, l'effort, sera ma seule option.
Le suivi des élèves sera ma seule vie.
Leur parcours sera pisté avec sang-froid.
Evitons de croire qu'enseigner est chose facile !

*Zoroastre (Iran env. 600 - 583 av. J.-C., réformateur du mazdéisme).

Francis Duchesne,
instituteur primaire de 1960 à 1997

L'ignorance, c'est l'esclavage. Le savoir, c'est la liberté !

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